Principe de mutualisation

Je ne vous ferai pas l’affront de vous proposer une définition du « partage » ! Je sais que vos convictions chrétiennes font de vous des experts dans le domaine. Ceci dit, aucun de vous n’a encore partagé sa fortune avec moi ! Mais c’est vrai ! Il y a une différence entre « partage » et « obole » !

En matière de réseaux de données la notion de partage est simple : Il s’agit d’optimiser l’utilisation des ressources en les répartissant entre différents utilisateurs.

L’optimisation évoquée ici s’entend sous au moins deux aspects : le critère technique, le critère économique. On parle alors de rendement (ou pertinence) technico-économique (quelle science j’ai, n’est ce pas ?).

Mais comment définir la limite entre un réseau dédié et un réseau partagé ?

Encore ici, comme dans le cours « Modèle OSI« , je ferai appel à la citation d’un de mes anciens collègues (aujourd’hui installé dans le Sud ! Sale traître !) :

Tout dépend de l’endroit où on se place et de l’idée qu’on s’en fait !

La topologie « Point à point » …

Sur le schéma ci-contre, un lien unique interconnecte deux routeurs. Ce lien permet de relier deux sites d’une même entreprise. Sur le site A des ressources applicatives sont livrées, par les serveurs, aux utilisateurs du site B.

Les deux routeurs et le lien d’interconnexion véhiculent donc des données pour l’ensemble des utilisateurs du site B. Du point de vue des utilisateurs, ils se partagent ses ressources. Le lien est mutualisé. Par contre du point de vue du site A, ce lien et ses routeurs sont dédiés à l’accès au site B (et inversement pour le site B). Donc du point de vue des sites, le lien est dédié. Du point de vue de l’entreprise également, ce lien est dédié à l’interconnexion des deux sites.

La seule préoccupation ici est de veiller à la charge du lien en regard de l’augmentation des besoins des utilisateurs du site B. Si la charge augmente, il suffit d’augmenter le débit de ce seul lien (et éventuellement upgrader les routeurs également). Par contre dans cette logique, si 100 sites doivent accéder au site A pour bénéficier des services applicatifs fournis par les serveurs, il faudra prévoir 100 liaisons dédiées et autant d’interfaces sur le routeur du site A, ou multiplier les routeurs (ce qui pose des problèmes de routage ensuite !!). Économiquement et techniquement parlant, est-ce rentable (réponse dans le prochain chapitre !) ?

La topologie « Hiérarchique » …

Sur le schéma ci-contre nous mettons en place un point de concentration entre les sites B et C et le site A par le site D. Il apparaît clairement que les liens D-C et D-B sont toujours considérés comme partagés par les utilisateurs des sites B et C, mais vus comme dédiés aux sites B et C du point de vue de l’entreprise.

Par contre le lien A-D est vu par les utilisateurs, les sites et l’entreprise comme un lien mutualisé pour les sites B et C. Ces deux sites se partagent la bande passante du lien pour accéder aux ressources fournies par A. Mais ce lien reste dédié à l’entreprise. On peut ici observer six points :

  • Cette topologie présente un point de fragilité : si le routeur D ou le lien A-D sont HS, deux sites (B et C) sont hors services, contre un seul précédemment !
  • L’évolutivité est plus complexe à gérer : si les besoins du site B augmentent et pas ceux de C, il est nécessaire de monter en débit sur le lien D-B, mais également sur le lien A-D ! C’est une double intervention.
  • Si l’entreprise ferme le site B, le lien A-D ne sert plus qu’à véhiculer les données de C vers A (plus éventuellement celles de D vers A). La concentration par D est-elle encore économiquement rentable ? Un lien direct entre A et C serait peut-être préférable.
  • Le cas horrible où le site D déménage ou ferme ! Il faut déplacer ou supprimer trois liaisons (A-D, D-B, D-C).
  • Cette topologie permet d’optimiser l’utilisation du lien A-D, son débit n’est pas forcément égal à la somme des débits des liens D-B et D-C. On peut appliquer un principe d’utilisation statistique en supposant que les site B et C ne transmettent pas forcément toujours en même temps !
  • On peut raccourcir les distances et donc, souvent, le coût des liaisons. Une LL (Liaison Louée) à 128K pour D-C et une autre à 64K pour D-B plus une liaison à 128K pour A-D peuvent suffirent et être moins onéreuses que 2 LL à 128K directes B-A, C-A !

On en conclut aisément que la structure hiérarchique peut présenter des avantages en termes financiers mais n’est pas forcément la panacée en terme d’évolution et de garantie de disponibilité globale du réseau !

La topologie « Backbone » …

Sur le schéma ci-contre on mets en place un réseau central maillé, sur lequel des sites viennent se connecter. Le « backbone » central peut disposer d’un point d’accès par région qui va concentrer les sites de la région. Le point d’accès est souvent appelé PoP pour Point Of Presence.

Dans le backbone constitué par l’interconnexion des routeurs R3 à R6 on peut mettre en place une politique de routage dynamique intelligente qui serait capable :

  • de prendre en compte tout nouveau site qui se connecterai à un PoP
  • d’assurer un re-routage en cas d’indisponibilité d’un des liens d’interconnexion
  • d’activer un mode de partage de charge entre les différentes routes possibles afin d’optimiser l’utilisation des liens (nous reviendrons sur le partage de charge dans un autre cours ! On peut pas tout voir ici !!).

Il est évident ici que le backbone (liens et routeurs) est partagé entre tous les sites connectés aux différents PoP. Les sites distants et leurs routeurs forment le « réseau capillaire« . Le backbone est la topologie de réseaux mutualisé de référence !

Nous noterons qu’ici nous avons raccordé le site A, considéré comme site central, sur deux PoP avec donc deux liaisons et deux routeurs sur le site ! Ceci permet de garantir une meilleure disponibilité d’accès au site. En effet, si nous l’avions raccordé uniquement à R3, plus aucun site n’accèderai aux ressources du site A en cas d’indisponibilité de R3, R1 ou du lien R1-R3. Par contre ceci suppose que le backbone est en mesure d’opérer un re-routage vers le dernier accès valide !

Cette topologie peut paraître optimum, mais :

  • les points d’accès sont des points de fragilité du réseau, si l’un d’eux est HS (Hors Service), un nombre de sites plus ou moins important peut être complétement isolé.
  • le dimensionnement des liens et routeurs du backbone est une opération assez délicate si l’on veut assurer un potentiel d’évolutivité à ce réseau sans devoir sans cesse reprendre le dimensionnement en fonction de l’ajoût ou le retrait de sites. Il faut qu’il puisse accueillir de nouveaux sites mais il ne faut pas non plus qu’il soit surdimensionné car cela à un coût !
  • la politique de routage au sein du backbone peut être assez complexe à mettre en œuvre et à maintenir.

Par contre les avantages sont importants :

  • La rentabilité économique : Plus on dispose de points de présence, plus il y a de chance d’avoir un PoP près d’un site à raccorder, donc de diminuer la longueur du lien d’accès et le coût associé ! Par contre, pour rentabiliser l’installation d’un PoP il faut qu’il y ait un minimum de sites locaux à y raccorder !
  • Les évolutions simplifiées : La fermeture ou le déménagement d’un site n’a que très peu d’incidence sur la topologie globale du réseau. Par exemple si le site E déménage dans la zone du site B il suffit de le raccorder à R4, au lieu de R5. Bien sûr si ce site présente un débit d’accès important, il sera peut-être nécessaire de vérifier si le PoP R4 dispose du débit suffisant pour prendre en charge ce site. Mais globalement, l’évolutivité est maximale !
  • Les délais de mise en œuvre : Dans le même esprit d’évolutivité, un facteur important est le délai de mise en place d’un nouveau site. Ici l’opération est simple, il faut créer une liaison de raccordement courte, commander et installer un routeur sur le nouveau site et connecter la liaison au point d’accès, et c’est terminé ! Avouez que c’est plus rapide que de commencer à créer des points de concentration !

Le point de vue de l’opérateur …

Par opérateur j’entends ici « opérateur de télécommunications », race nombreuse au départ mais qui risque de tendre à disparaître si la bourse continue à faire des siennes comme en ce moment (nous sommes en Novembre 2002, pour le cas où vous liriez ce cours en 2030 !). La fourniture d’un backbone c’est un peu la raison de vivre d’un opérateur de télécommunications !

Jusqu’ici nous avons vu comment une entreprise pouvait optimiser l’utilisation de ses liens, mais ceux-ci restent dédiés à l’entreprise ! L’opérateur va plus loin ! Il mutualise les liens entre les différentes entreprises ! Le schéma suivant ressemble beaucoup au précédent cependant on remarque que tous les sites n’appartiennent pas à la même entreprise.

Les liens du backbone véhiculent donc des flux des diverses entreprises, ils sont mutualisés entre les entreprises. Ceci suppose donc que le coût de revient est donc réparti entre les différents « clients » du backbone. Par contre on remarque tout de suite qu’un problème crucial apparaît : la confidentialité des données ! Comment garantir que les données émises entre les sites Z ne seront pas lues par les sites Y ? Rassurez-vous les opérateurs savent très bien faire ça ! Les protocoles les y aident bien d’ailleurs ! Nous étudierons ces aspects dans les chapitres suivants.

Cependant la représentation donnée ci-dessus d’un backbone opérateur est pour le moins simpliste (ou commerciale dirons-nous !). En vérité la structure d’un backbone de grande envergure sera beaucoup plus complexe ! Elle sera :

  • hiérarchique : avec un réseau capillaire qui collecte les sites clients et les concentre sur des points hauts débits vers un backbone central inter région et international.
  • sécurisée : les points d’accès seront raccordés au backbone par des liens multiples, le backbone sera maillé.
  • ouverte : l’opérateur veillera à offrir plusieurs types de raccordement possibles à son backbone (liens permanents sur liaisons louées, liens Turbo DSL et ADSL, accès téléphonique analogique ou RNIS pour des nomades ou des petits sites, extension possible vers Internet, liaisons satellites, etc.).

Le schéma ci-dessous présente un exemple de structure hiérarchique et sécurisée pour un backbone opérateur :

Les PoP concentrent les accès des sites clients. Ce sont des équipements qui offrent un grand nombre d’interfaces d’accès à différents débits. Les PoP sont connectés aux équipements d’accès du réseau backbone par une ou plusieurs liaisons (souvent plusieurs) et ils sont également éventuellement interconnectés entre eux si l’on dispose de plusieurs PoP co-localisés, ceci évitant de remonter le trafic sur le backbone pour deux sites raccordés à deux PoP proches. Le backbone haut débit n’accueille jamais de raccordement client. Il assure l’acheminement du trafic sur des artères à hauts débits.

Ici encore l’architecture est très simplifiée car en fait :

  • un PoP sera rarement constitué d’un seul équipement. Il y en aura au moins deux, montés en partage de charge et secours.
  • on utilisera souvent deux ou trois niveaux de concentration :
    • le PoP pour le raccordement des clients, appelés NC : Noeud de Concentration. Les NC constituent le réseau de collecte.
    • le NR : Noeud Régional assure la concentration des NC régionaux et dispose de l’autonomie de routage suffisante pour acheminer le trafic intra-région. Les NR constituent le premier niveau de routage du backbone. L’interconnexion des NR directe entre-eux est possible par région.
    • Le NT : Noeud de Transit. Ce sont des points de transfert hauts débits au cœur du backbone. Ils reçoivent les connexions des NR et assurent ainsi le routage national.
    • Le PAI : Point d’Accès International. Ce sont des NT spéciaux qui assurent l’extension du backbone à l’international. Ces PAI sont bien sûr moins nombreux que les NT nationaux et se situent au cœur du backbone. On trouve généralement un NT par « grande direction » (Asie, Amérique du Sud, Amérique du Nord, Afrique, Europe du Nord et du Sud, etc.).

Conclusion du chapitre

Dans ce premier chapitre nous venons de brosser succinctement le concept de base des réseaux partagés. En résumé, on peut retenir que la notion de réseau partagé n’est pas réservée à un opérateur mais peut très bien être comprise du point de vue d’une entreprise. Cependant il faut admettre que cette dénomination reste très attachée au monde opérateur. Ainsi on parlera d’un réseau dédié pour une entreprise, même s’il est construit sur la base d’un réseau opérateur partagé ! Avouez qu’il y a de quoi se taper la tête contre les murs !!

Dans le capitre suivant, bien que nous ayons sérieusement attaqué le sujet ici, nous allons essayer de comprendre pourquoi il est rentable techniquement et financièrement d’utiliser des réseaux mutualisés.

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